Théâtre antique d’Orange d’après une reconstitution de l’architecte Auguste Caristie (1783-1862)
« Le son doit provenir de l’image ! » Cette affirmation, qui est une évidence aujourd’hui, n’a pas toujours été facile à appliquer dans le “spectacle”. Tant que celui-ci s’exerça sous une forme théâtrale, il était normal que le son provienne de l’image puisqu’il sortait de la bouche même des acteurs. Et l’ingéniosité, à l’époque, consistait à construire des lieux de spectacle capables de renvoyer, voir même d’amplifier les sons provenant de la scène vers les spectateurs.
Les frères PATHE, l’un portant un phonographe, l’autre une lanterne de projection, accompagnés de leur fameux coq
Les choses se compliquèrent au XIXe siècle, lorsque la technologie naissante permit de dissocier le son de l’image. Le cinéma en est un bon exemple. Les premières projections étaient muettes, parfois accompagnées d’un musicien caché sur le devant de la scène ; pas au fond de la salle, mais sur le devant de la scène pour que « le son provienne de l’image. » Puis le cinéma parlant fit son apparition, suivi du cinéma sonore, et l’on cachât alors des haut-parleurs à côté ou derrière l’écran.
Luciphone – Collection F.B. cliquer ici
Mais avant le cinéma que se passait-il ? Certains diront qu’avant le cinéma il n’y avait rien… Rien d’autre que le “pré-cinéma”, composé de lanternes magiques de tous genres pour amuser les enfants. Il y eut quand même le Luciphone, premier appareil associant l’image et le son dans un luxueux coffret propre à amuser les enfants de riches bourgeois… Ou peut-être les parents de ces enfants gâtés !
C’est oublier les nombreuses Conférences Populaires qui se développèrent à partir de la Seconde République pour « instruire le peuple ». Des conférenciers, illustrant souvent leurs propos avec des projections lumineuses, traitaient des bienfaits de la science naissance ou des dernières connaissances dans les domaines les plus variés tels que l’astronomie, l’agriculture ou l’hygiène.
Voir : La Ligue de l’Enseignement et l’Education Populaire
Comment faisait-on alors pour que « le son provienne de l’image » ? On sait que pour avoir une image la plus grande possible, il convient de placer le projecteur le plus loin possible de l’écran tout en gardant une luminosité suffisante pour que l’image soit agréable à regarder. A l’époque le public se précipitait dans ces conférences, faute de cinéma ou de télévision, et les salles devaient être suffisamment grandes pour accueillir tout ce public. Un problème quasi insoluble se posait alors. Comment le conférencier pouvait-il à la fois manipuler le projecteur placé à l’arrière de la salle et faire en sorte que « le son provienne de l’image » figurant sur l’écran situé à l’avant de la salle ?
Conférence faite lors de l’exposition des insectes à l’orangerie des Tuileries en 1874
La seule solution, puisqu’il n’existait ni micro, ni télécommande, ni “synchroniseur”, était de dissocier les fonctions. Il y aurait un conférencier et un projectionniste. D’ailleurs la manipulation de la lanterne, souvent double, ainsi que des vues qu’il faut changer régulièrement et placer dans le bon sens, et enfin du réglage permanent de la source d’éclairage qui “s‘usait” au fur et à mesure de la conférence, était un travail à plein temps pour un projectionniste chevronné. De 1860 à 1900, Alfred MOLTENI, principal fabricant d’appareils de projection au XIXe siècle, fut le projectionniste habile et bénévole de plus de 2000 conférences animées par les plus grands vulgarisateurs de l’époque tels que Camille FLAMMARION, Gaston TISSANDIER, Stanislas MEUNIER, etc. (voir PORTRAITS)
Voir : Enseignement par les projections lumineuses MOLTENI et MEUNIER
Projection dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne en 1880
Comment faire en sorte que monsieur MOLTENI (voir PORTRAITS), placé près de la lanterne de projection (à droite de l’illustration), puisse projeter au bon moment les vues correspondant au discours de monsieur FLAMMARION (voir PORTRAITS) situé à gauche devant l’écran, et cela dans une salle la plus obscure possible ?
La solution était toute simple et provenait d’Angleterre, pays qui fut le premier à développer les conférences lumineuses et les “outils“ qui vont avec. Il s’agit de la lampe de projectionniste, aussi appelée lampe SIGNAL qui permettait au conférencier à la fois d’éclairer son texte et d’indiquer au projectionniste le moment où il fallait changer de vues.
« Un accessoire qui paraît avoir une très minime importance, c’est le signal qui permet au conférencier d’avertir le manipulateur d’avoir à changer le tableau transparent. Quelques-uns emploient simplement une sonnette, un grelot ; d’autres frappent quelques coups sur la table. Mais tous ces moyens on un défaut capital, c’est d’être aussi bien entendus par le public tout entier que par le manipulateur de la lanterne. Il faut absolument que le signal employé soit tel que seul ce dernier le perçoive. Les appareils à air ou électriques sont plus convenables.
Les premiers se composent d’une poire à air en caoutchouc que le conférencier peut aisément comprimer avec la main et qui est reliée avec l’appareil au moyen d’un long tube de caoutchouc. A l’extrémité du tube, une chambre à air agit sur un levier qui par son agitation prévient le manipulateur. »
Primus Electric Signal
« L’appareil électrique consiste en une sonnerie accrochée au pied de la lanterne et dont le bouton est sous la main du conférencier. Messieurs BUTCHER & SON ont réuni dans une petite boîte très facilement transportable une sonnerie avec sa pile. » Cependant ce système semble ne pas supprimer le bruit « entendu par le public tout entier ». Source : La lanterne à projections par Eugène Trutat – Editions Charles Mendel Paris 1897.
Dans son livre sur “La projection au XXe siècle” publié vers 1900, Elie MAZO (voir PORTRAITS) précise « Dans une salle organisée spécialement pour les conférences, il faut établir une communication électrique entre l’opérateur et le causeur. Cette communication peut être une sonnerie quelconque, un taquet ou un petit disque mobile dans une ouverture. Le causeur presse un bouton à la main ou un contact au pied, et l’opérateur aussitôt averti change la vue. Mais dans la plupart des cas, cette organisation n’existe pas. On peut se servir d’un signal manœuvré avec une poire, mais pour éviter le tuyau, on emploie plutôt la lampe SIGNAL. »
Publicité Mazo de 1908
Il existe différents modèles de lampes pour conférenciers, équipées d’un “SIGNAL”. Cette publicité parue dans le catalogue MAZO de 1908, en présente trois différentes (dont les dessins ne sont pas en proportion).
Un appareil identique porte une plaque d’identification “Spiers and Pond’s Stores Photographic Department, London, England, Great Britain, 1890”
Cette lampe SIGNAL est la plus sophistiquée des trois. Elle éclaire grâce à une petite lampe à pétrole équipée d’une mèche plate. Mais elle permet aussi d’avertir le projectionniste soit par l’intermédiaire d’un voyant rouge que l’on dévoile à l’aide d’un petit volet articulé, soit à l’aide d’une sonnette semblable aux sonnettes de table ou de vélo? Cette-ci est actionnée d’un doigt pour prévenir le projectionniste et ponctuer la présentation de petits “dings” régulières qui peuvent aussi servir à réveiller certaines personnes de l’assistance ayant tendance à somnoler. Cette lampe possède même un emplacement, à côté de la sonnette, destiné à ranger quelques allumettes.
Voir : Lampe “ECLIPSE” pour conférencier
Synchronisateur Philips N6400
Un siècle plus tard, dans les années 1960 / 70, ces petits “Dings” furent remplacés par des “Tops” inaudibles, enregistrés sur la piste inverse d’une bande magnétique, ce qui permettait de changer de vue automatique au fur et à mesure de la progression du son. A noter le bouton rouge permettant d’enregistrer les “Tops”, qui est de la même couleur que le voyant lumineux de la lampe SIGNAL !